Les enjeux de la critique en architecture et dans l'enseignement

Communication pour le séminaire SHS-Test à l'EA Nantes (LAUA-EAN), 1988

Culture et enseignement de l'architecture: une géo-graphie critique pour une écologie urbaine



omme l'exprimait bien le philosophe Michel Henry, notre modernité est dévastatrice de culture et l'apparent paradoxe tient en ce que l'essence de la destruction se situe dans le savoir, à l'intérieur même d'une forme de culture et non pas contre elle. La "reconstruction" en cours de l'Université en est un témoignage patent. Au nom de la finalité économique semble signé le triomphe de l'utilitarisme manipulant les stéréotypes de la mondialisation, de la compétitivité, contre la culture. Ce processus engendre la passivité des individus conditionnés par une pensée unique alimentée par la crainte devant l'avenir, devant l'embauche. Les impératifs nécessaires de l'univers de la technique réduisent forcément la part de la culture dans l'enseignement par la tendance à la limitation des "connaissances à celles qui seront effectivement mises en pratiques". Car cette logique, fondée donc sur le savoir, trouve sa légitimité dans sa propre revendication à l'élévation du niveau des étudiants, ce qui peut même passer par la constitution de ce que l'on appelle aujourd'hui des "pôles d'excellence".

Dès-lors nous pouvons tourner plus particulièrement notre regard sur l'enseignement de l'architecture dont la particularité partagée avec d'autres est d'être un enseignement supérieur en dehors de l'Université. Tout d'abord, en quoi cet enseignement, déjà traditionnellement orienté sur une finalité professionnelle, pourrait-il pâtir lui aussi des tendances évoquées ci-dessus ?
La fin des années 60 s'était caractérisée par une rupture avec l'enseignement traditionnel marquée notamment par un recours important aux sciences humaines et sociales. Sommairement nous pouvons constater que ces vingt cinq dernières années ont vu une tendance à la fermeture derrière une apparente évolution liée au développement de la recherche, une recherche nécessaire mais malheureusement bien vite cantonnée dans des retranchements, en attente d'une offensive. La grande revendication d'une universitarisation de l'enseignement a fait long feu. Aujourd'hui, alors même que l'Université se professionnalise, un semblant de rapprochement avec elle se manifeste dans le cadre de la réforme en cours, notamment par la création d'un troisième cycle à caractère théorique et professionnel privé de véritables ambitions et marqué par des enjeux éloignés de la culture.
Il est clair que le recul général de la notion de service public s'accompagne partout de la réduction de son corollaire, l'éthique publique. Dans l'enseignement supérieur, l'essence intellectuelle et spirituelle des enseignants fondée sur la transmission d'un savoir lié à l'accomplissement " en eux du grand mouvement d'auto-accroissement de la vie" n'a plus vraiment sa place dans un univers marqué par le culte de la compétition et par des rapports de force sans rapport avec l'intérêt général. Cela est vrai aussi pour lésine la fin de la première année, en dehors des contrôles terminaux. L'essence de l'enseignement réside pourtant dans la répétition dans la contemporanéité, est-à-dire la reproduction de la théorie dans la pratique, productrice d'évidence avec un effet récurrent sur la théorie (M. Henry). Développer les potentialités constitutives de la subjectivité individuelle par l'exercice répété et la transmission des savoirs confère une aptitude à l'acquisition de dispositions nouvelles. Plus le niveau est élevé, plus grands sont le choix et le nombre des débouchés offerts. (MH p 212).

Il est aisé de dénoncer l'inculture des étudiants sans que les conditions soient réunies pour leur permettre de progresser. Une question comme celle-là n'a pas été abordée dans le cadre de la réforme. Comment, de plus, comprendre l'espace sans pouvoir le nommer, sans concepts? La réforme a par exemple entraîné la réduction des heures d'enseignement du champ "sciences humaines et sociales".
Il faut pourtant essayer d'approfondir notre questionnement car ce constat pessimiste appelle un affinement de la réflexion afin d'ouvrir certaines perspectives.

Comment entendre le mot "critique"? D'abord par opposition au mot "soumission". C'est la possibilité de la critique qui a permis le progrès dans l'Athènes de l'Antiquité (E. Gombrich). C'est le principe de la discussion, de l'échange d'arguments, ce qui rend possible le point de vue et le débat. Dans une relation instantanée avec l'enseignement, on peut dire que le progrès de l'étudiant passe par sa capacité à questionner, à débattre, par le développement de ce que l'on appelle son esprit critique. Notre position, qui n'est sans doute pas originale, est que cette formation de l'esprit ne résulte pas mécaniquement d'une quelconque accumulation de savoirs ou de savoir-faire.
Il a été question ci-dessus d'une évolution positive en 1967. Cette évolution a peu duré, notamment du fait de l'enfermement rapide des éléments de ressource de l'enseignement, je pense ici particulièrement aux SH. Cet enfermement était inhérent même à l'appellation, "disciplines annexes". Comme nous le verrons ci-dessous, il n'est pas perçu comme admissible qu'un non architecte puisse avoir en charge un enseignement de conception, même urbaine. Cet interdit n'est pas écrit dans les textes des diverses réformes mais cela est. Dans la présente réforme, les "savoirs pour l'architecture" entérinent le statut annexe de ces savoirs car les intentions des législateurs ne sont pas entendues. La matérialisation de la réforme a entraîné chez nous le repli dans des modules ghettos. L'esprit de la réforme a été emporté par la force d'inertie. Les textes étaient pourtant assez clairs qui n'imposaient pas pour l'appartenance pleine et entière au champ architecture une stricte qualification disciplinaire. L'enseignement du projet est resté naturellement compris comme un fief professionnel. Seules restent les options, autres ghettos où règne le superflu, "niches écologiques" où peuvent se reposer les irréductibles à la pensée dominante.
Nous avons probablement affaire ici à un obstacle épistémologique que nous pourrions nommer, à la suite de G. Bachelard, obstacle substantialiste ou également obstacle de la connaissance unitaire et pragmatique. Le principe unitaire de l'architecture allié à celui de la substance tendent à tout expliquer par la substance," en se prévalant de l'expérience extérieure évidente mais en fuyant la critique dans les profondeurs de l'intimité". Cette fuite a lieu devant la possible richesse forcément critique d'autres apports disciplinaires ou interdisciplinaires au sein même de l'enseignement du projet. La crainte apparente de la dépossession mène à un blocage dont les formes sont diverses, pouvant aller jusqu'au dénigrement de ces apports devant les étudiants: "il n'est pas architecte, il ne peut pas vraiment comprendre". En tant qu'acteur non architecte dans une école d'architecture, nous avons recherché une rencontre avec la discipline architecturale et cela nous a conduit à développer une approche spécifique du projet sur l'espace urbain génératrice de certaines "tensions".
Cependant, nous ne pouvons nous contenter de cette explication. Un autre obstacle est apparu durant ces dernières années, celui de la connaissance générale que l'on peut reconnaître avec le développement de la technologie informatique, banalisée par les médias, l'enseignement initial, la commercialisation du savoir, la pseudo-accessibilité du savoir pour tous par le biais de la technologie, garantie même de "démocratisation" de l'enseignement. Il semble impossible dans le contexte contemporain de refuser le "progrès", progrès technologique se confondant avec le progrès en général. Aussi, après une faible résistance des positions traditionnelles, se dessine dans le domaine de l'architecture un processus ambigu où l'"émeute technologique" peut devenir acceptable dans la mesure où elle reste un simple prolongement de la tradition, un mythe de plus s'intégrant à la substance. Ce qui aurait pu passer comme une alliance de l'eau avec le feu devient possible dans cette logique de fuite en avant technologique apparemment efficace sur le marché. Elle permet en effet l'actualisation directe et profitable de certaines potentialités des étudiants. C'est en fait logiquement le principe techno-scientifique qui se trouve renforcé dans ce processus où le recul de la culture ne laisse plus de place à une autre critique que la sienne propre (M. Henry).
Un questionnement plus profond touchant à l'enseignement de l'architecture doit donc aujourd'hui prendre en compte cette amplification des obstacles épistémologiques à une nouvelle pensée permettant d'aborder la complexité et ouvrant à un véritable changement de paradigme. Quelle place reste-t-il entre l'obstacle substantialiste et l'obstacle de la connaissance générale ?
La place laissée à la culture ne peut en tout cas que diminuer et l'application de la réforme l'a bien révélé dans le décompte qualitatif. L'accroissement de la vision de l'étudiant, son progrès par la mise en oeuvre d'une subjectivité fondée sur la culture du sentiment afin de pouvoir entrer en possession de soi, de s'éveiller (M. Henry) sont indissociables d'une culture ouvrant à l'universel et non tributaire d'un objet.

Nous allons maintenant développer notre réflexion par un glissement vers une approche plus concrète de l'espace, notamment de l'espace urbain.
La "complexité" est donc à l'ordre du jour dans tous les domaines. Celle du phénomène urbain est théoriquement entendue, incluant la complexité de l'espace physique construit, univers de significations, de représentations, à la fois résultante et condition de la vie sociale, habitat de l'homme. Mais la question n'est pas de se préoccuper de l'homme en se préoccupant de son habitat, l'homme "est" tout simplement et "habite" car il "est" (Heidegger). Elle est de partir de l'homme dans son rapport vécu avec l'habitat, elle est son existence. L'intelligence de l'espace signifie l'intelligence de la vie de l'homme dans l'espace, de son échange avec les signes de l'espace. Pour Giancarlo de Carlo, lire l'espace urbain signifie "identifier les signes de l'espace physique...Cela suppose de comprendre mais aussi d'imaginer en fonction d'hypothèses jugées plausibles, autrement dit, de projeter" et pour Bernard Huet il faut faire parler ces signes "car l'espace est porteur de solutions". Nous sommes donc placés devant les exigences d'une herméneutique concernant l'espace urbain (M. Foucault).
La réflexion développée ici se veut un questionnement sur les disciplines mises en jeu dans la formation au projet sur l'espace urbain dans une école d'architecture et sur la dimension épistémologique de l'apport de ces disciplines qui ne sauraient être toutes enseignées ni d'ailleurs aucune à part entière et qui, par leur spécificité, sont une caractéristique de l'identité propre de chacune des écoles. Elles représentent une base importante pour le déploiement de la dimension culturelle mais cela ne peut se faire mécaniquement. Partant du criticisme kantien comme recherche des fondements de la connaissance, comme examen des prétentions de la raison et de ses limites, il est possible d'envisager d'une manière plus affirmée une épistémologie critique concourant à la formation des étudiants aux moyens leur permettant de mieux "lire" et "écrire" l'espace urbain. Un appel à la transdisciplinarité est même nécessaire, où la relation avec la pensée philosophique mais aussi avec la littérature doit trouver sa place. Pensons à la géographie classique si littéraire.
Les exigences de la "complexité" mettent les enseignants devant d'énormes responsabilités dans la formation des étudiants, notamment par le nécessaire "décrochage" du paradigme déterministe (M. Hug). Elles interrogent l'évolution de l'enseignement de l'architecture qui elle-même ne peut être dissociée de la ville, les sources de cette évidence étant claires chez Alberti, Palladio, Rossi, Zevi, Kahn... les géographes...
Une évidence qui recèle déjà en elle-même un certain potentiel critique quant à sa mise en oeuvre dans l'enseignement.
Le "milieu" urbain reste de manière "prégnante" un simple terrain, terrain contextuel, terrain d'applications...que l'on découpe en tranches, que l'on recompose, où l'on "zoome", terrain privilégié des belles représentait colorées...ou en noir et blanc, en plan ou en relief, où l'on peut circuler virtuellement...que l'on analyse sans fin pour analyser et de là pour prescrire: "la typologie ...n'est qu'une recette excluant l'imagination au profit de l'érudition et cantonnée à de stériles prescriptions" (G.C. de Carlo). Un terrain où s'enlise la banalité de la connaissance commune comme l'a bien exprimé un enseignant de philosophie constatant que les étudiants en architecture utilisaient indifféremment "lieu", "place", "endroit", "site", "espace" (T. Paquot). Le terrain est interprété dans le sens de "coller au terrain" et pourtant Platon avait déjà mis en garde contre le danger de "coller aux choses": "Je craignis de devenir complètement aveugle de l'esprit en braquant seulement mes yeux sur les choses..." (Le Banquet). Être prisonnier de l'objet de son étude équivaut à l'oubli des concepts (G. Bachelard).
Or, le terrain devrait être le niveau du problème particulier, occasion de la reconstruction du savoir scientifique, de la démonstration épistémologique (G. Bachelard). Le terrain doit être reconnu comme le local, le singulier en tant que principe d'intelligibilité inséparable du principe d'universalité que nous avons affirmé supra (E. Morin). On comprend dans ces conditions les carences rencontrées chez les étudiants en matière de problématique et cela jusqu'au niveau le plus élevé. Tout cela pour dire que trop souvent la raison semble oubliée. Or celle-ci va de pair avec l'esprit critique qui est lui-même doute, qui s'attaque aux fondements des opinions, qui est la condition fondamentale de l'esprit scientifique.
La critique n'est-elle pas aussi la démystification des illusions de la conscience ?

Pour répondre aux défis de la complexité il faut "complexifier le système des idées" (E. Morin). Le socle théorique de l'enseignement du projet doit donc s'enrichir réellement des apports scientifiques des disciplines et doit s'accompagner de la réduction de l'hypertrophie d'exigences privant les étudiants du temps de la lecture, du temps de la recherche, du temps de l'observation...du temps de la critique et nuisant à l'assimilation des connaissances. Nous postulons naturellement que ces apports, dans leur dimension épistémologique font partie intégrante de ce que nous avons initialement appelé "culture".
Elles permettent de poser la question de la progressivité en dehors de la linéarité, postulant l'"engramme" plus que le "programme" (E? Morin). La progressivité, c'est-à-dire le mode de progression d'un enseignement et la vérification de son acquisition par l'étudiant est une notion centrale dont l'appréhension est particulièrement complexe dans l'enseignement de l'architecture. On peut même parler de double progressivité, d'une part au niveau de savoirs bien identifiés et, d'autre part, au niveau du projet, creuset d'une mise en pratique où agit en permanence la dimension critique/autocritique. En ce qui concerne les savoirs émanant de disciplines, la progressivité doit être envisagée dans le cadre d'une pédagogie de type "classique", dans l'horizon du projet, fondée sur un approfondissement des exigences en matière de maîtrise conceptuelle, de capacité à questionner, à "problématiser", à argumenter...
Dans le projet lui-même, le caractère opératoire des enseignements doit pouvoir se justifier objectivement, le vérifiable n'étant pas de même nature que dans le cas précédent et ne se situant pas au même niveau selon les disciplines. Retenons deux raisons :
- à l'exception de ce qui relève d'un apprentissage du type "règles basiques" il n'est pas pensable que l'assimilation des savoirs par les étudiants soit "immédiate". Ces savoirs ne peuvent donc être immédiatement opératoires dans la pratique, ce qui exclut le caractère "utilitaire" des disciplines.
- les enseignants intervenant directement dans le projet ne sauraient maîtriser l'ensemble des savoirs intégrables et donc être à même de vérifier leur assimilation même relative.
Pour l'anecdote, n'oublions pas que le projet appartient à la sphère de la praxis, opération dialectique par laquelle le sujet se transforme en même temps qu'il transforme l'espace, le sujet recouvrant ici à la fois l'étudiant, l'enseignant et les disciplines mises en jeu. Et cela est une chance dans ce type d'enseignement, le projet étant le catalyseur des critiques.
L'enseignement du projet a donc tout à gagner à mieux se saisir des "disciplines" et par conséquent à les faire évoluer.
La question est donc posée de la scientificité du contenu de l'enseignement et, dans ce cadre, de l'apport des disciplines engagées. Nous entendons par scientificité ce qui est conforme aux exigences d'objectivité de la science, c'est-à-dire d'un savoir vérifiable et démontrable. Il ne s'agit bien sûr pas ici d'un impensable enseignement scientifique du projet.
Il existe des "butoirs" et ces propos signifient en clair que l'approfondissement exigé de la formation des architectes passe par l'acquisition d'un solide fonds conceptuel, culturel et aussi, naturellement, technique. Nous insistons donc ici sur l'option "scientifique" qui implique l'affirmation de disciplines ou d'interfaces disciplinaires inscrites dans la formation au projet sans être assujetties à une finalité réductrice et en dehors de toute pensée unitaire du cursus. Pour cette raison nous pensons par exemple que la notion frileuse de "disciplines annexes ou connexes" devrait être bannie (la partie développée ci-dessus fait partie d'une contribution à la préparation de la réforme que nous avons écrite en 1996).

Nous allons maintenant nous pencher sur notre propre expérience d'enseignement. Nous avons plusieurs fois cité Gaston Bachelard, précieux en tant que référence scientifique. Il l'est aussi en tant qu'apôtre du sensible et le point de vue privilégié dans notre enseignement part de l'intérêt de l'homme sensible "vivant" l'espace urbain (K. Lynch, C. N. Schulz) et revendique le "lien" entre scientifique et sensible pour questionner, critiquer, proposer. Le philosophe Michel Henry s'est d'ailleurs élevé contre la mise "hors jeu des qualités sensibles" dans le monde par les déterminations idéales de la science et a dénoncé la "barbarie" de la science, une science trop confondue avec la technologie (E. Morin). Notre propos ayant pour objet l'enseignement dans une école d'architecture mettra en relation l'intelligence de l'espace urbain et le projet.
Nous faisons entrer pédagogiquement en interaction deux disciplines, la géographie que l'on qualifiera d'humaniste (D. Pocock) et la linguistique dans sa contribution à l'élaboration de la sémiologie d'un "langage graphique" (F. de Saussure, C. S. Peirce, J. Bertin). Ces disciplines ne peuvent rester en marge des grands courants de pensée et, de ce fait, comme nous l'avons vu, l'appel à la philosophie est omniprésent.
Dans les années 70, de nombreux géographes se réclamant notamment du marxisme et de la phénoménologie ont introduit ce qu'ils appelaient un paradigme critique pour une nouvelle géographie. Cette position était liée à la prédominance de la "non explication" des phénomènes urbains résultant de la seule "analyse des flux au sein des villes", postulant que les configurations résidentielles étaient liées aux préférences, au "choix des individus ou des ménages" (M. Cosinschi, J.B. Racine). Les sciences de nature critique procédant d'un intérêt émancipatoire (Habermas), cette géographie a remis par exemple en cause les effets pervers d'une géographie sociale évacuant par trop l'individu, pur élément d'un système; elle a critiqué la croissance conçue comme seul moteur du développement social ( R. de Koninck). Elle est la source de la géographie humaniste centrée sur les valeurs et significations de l'expérience humaine, dont l'approche est basée sur les qualités humaines et est fortement liée à la phénoménologie. Elle s'intéresse à l'homme qui éprouve des sentiments, qui crée, elle postule l'importance subjective et la non séparation entre faits et valeurs. Son univers est celui du vécu, de la sensibilité, des lieux.

Nous nous attachons d'autre part à la représentation graphique de l'espace urbain, manuelle ou automatique, au crible d'une sémiologie qui exige l'adéquation entre l'idée et la représentation graphique. Il s'agit de vouloir piloter la machine (E. Morin) et ne pas céder devant cette fameuse émeute technologique. Le danger est en effet très présent d'un accroissement massif de l'illusion de compétence alors même que les enjeux se font plus redoutables en raison de l'accélération et de l'homogénéisation des processus de transformation de l'espace. La puissance de la technologie pour répondre rapidement aux besoins économiques (du marché) est une illusion en ce qui concerne l'espace urbain où l'homme vit, dans toutes les nuances de la vie. L'approche de l'espace doit être nuancée, sortir des catégories habituelles. Seul un vrai langage graphique collant au langage naturel peut permettre de dessiner, de lire, de projeter les nuances sur le territoire. Cela veut dire que nous en appelons à une véritable formation adéquate aux questions de sémiologie de la représentation graphique et donc susceptible d'apporter une capacité critique de haut niveau dans les domaines de la représentation. La base de ce langage existe, la sémiologie de Jacques Bertin, superbement ignorée ou comprise de manière simpliste. Et ajoutons que les nuances exigent le retour de la main pour accompagner, corriger, nier s'il le faut l'usage de la machine.
A l'heure où il est beaucoup question de communication, il faut se souvenir que l'essence de la communication s'identifie à l'actualisation phénoménologique du savoir à communiquer, communiquer le projet par exemple.
Le séminaire s'inscrit dans cette problématique et associe dans ce but architecture / urbanisme / géographie / sémiologie tout en intégrant la technologie des SIG.

Pour conclure, une grande question reste posée. Les disciplines susceptibles d'intégration et de questionnement sont nombreuses de même que les points de vue à l'intérieur de ces disciplines. L'orientation épistémologique peut elle-même nourrir l'"absorption substantialiste" en se confondant avec un vernis de culture dont l'acquisition reste à la portée de tout un chacun. Quant au domaine de l'urbain faut-il entendre deux grandes orientations: l'homme à l'intérieur, dans ses milieux, l'"écologie" dans le sens métaphorique de Gombrich, et, l'homme à l'extérieur qui étudie l'objet urbain, l'esthétique, l'ensemble des sciences humaines se situant théoriquement à l'intérieur de chacun de ces champs ou les traversant, la méthode tendant à mettre en action la théorie vers le projet, la conception de l'espace, l'actualisation des connaissances dans le contexte projectuel ?
Une épistémologie régionale actualisée dans le champ "écologique" ou "esthétique" à l'horizon du projet requiert évidemment la capacité "réductrice" de l'enseignant et une grande latitude dans l'initiative libérée du poids utilitaire, dans le cadre d'une autonomie disciplinaire.
Peut-être faudrait-il même envisager plus globalement une généralisation de l'enseignement de l'histoire des sciences, et intégrer les résultats, c'est-à-dire les principes des diverses disciplines.
Ajoutons que toutes les formes de relectures critiques sont salvatrices, qu'elles soient relectures d'auteurs ou de l'espace...
Un dernier mot pour évoquer l'enseignement des langues vivantes. Ernst Gombrich s'est penché sur la question de la traduction et traduire les concepts signifie une ouverture à la culture, un enrichissement. Comment ne pas voir la difficulté de comprendre Lynch en raison d'une mauvaise traduction de concepts qualifiant l'espace.

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